la planete des singe
en bref :
La planète des singes est un court roman, écrit dans un style dénué de toute fioriture, qui privilégie l’efficacité sur la formule littéraire. On adhère ainsi très vite et sans effort à l’histoire que l’auteur nous raconte. Le début du roman évoque d’ailleurs ces récits, fréquents aux XVIIIe et XIXe siècles, dans lesquels on découvre un message contenu dans une bouteille et qui narre d’incroyables aventures. Mais là, Pierre Boulle transpose ce procédé à l’ère de l’exploration spatiale : la bouteille et le message sont toujours là, mais ils sont découverts par un couple naviguant dans un voilier poussé par les vents solaires d’un système de trois étoiles. On retrouve d’ailleurs ce couple en conclusion du roman, pour une chute tout à fait saisissante...
Mais c’est le message proprement dit qui constitue l’essentiel du livre. Son auteur, Ulysse Merou, est un journaliste terrien qui a fait partie de la première expédition hors du système solaire, en compagnie du professeur Antelle, grand scientifique concepteur du projet, et d’un de ses disciples. Au bout d’un voyage de deux ans à une vitesse proche de la lumière, les trois hommes parviennent dans le système de Bételgeuse, et tentent l’exploration d’une planète semblable à la Terre, sinon dans sa géographie, au moins par ses conditions naturelles. Ils y découvrent des êtres humains particulièrement primitifs, disons même sauvages, incapables de parler comme de rire, et effrayés par tout objet fabriqué. Ce qui conduit ces derniers à détruire aussi bien les vêtements des terriens que la chaloupe spatiale qui les avait amené de leur vaisseau jusque sur le sol de la planète.
Devenus semblables physiquement à eux, les trois explorateurs se retrouvent également chassés par des gorilles -une scène particulièrement intense-, et Ulysse Merou est capturé tandis qu’un de ses compagnons est tué par balle. D’abord véhiculé dans un relais de chasse, où il assiste à une pénible séance de photos-souvenirs, il est ensuite amené dans une des villes singes et emprisonné dans une cage au sein d’un institut scientifique. Au fil de plusieurs tests et de tentatives faites pour communiquer, il parvient à s’attirer la sympathie de Zira, la chimpanzée responsable de lui, et de son fiancé, le savant Cornélius, et ce en dépit des réticences de Zaïus, un scientifique orang-outang conservateur. Finalement, Ulysse a l’occasion de s’exprimer devant un vaste congrès scientifique, retransmis au public, et parvient ainsi à être considéré comme un être pensant digne de prendre place dans la société évoluée.
On se rend compte, au fur et à mesure de la découverte par Ulysse de la société simiesque de la planète Soror, que celle-ci ressemble fortement à la nôtre. Le niveau technologique auquel elle est parvenue est semblable à celui de nos années 50 dans les pays développés (un satellite artificiel occupé par un homme a récemment été mis en orbite, mais a du être détruit suite à l’impossibilité de le ramener), avec une avancée moins poussée de la science, néanmoins. Voitures, avions, appareils-photos, feux de circulation, livres, cabarets, zoos, on retrouve des éléments tout à fait semblables à ceux qui existent chez nous (peut-être en partie par facilité de la part de l’auteur pour imaginer une autre civilisation). La société des singes est divisée en trois catégories, les gorilles (anciens seigneurs, spécialisés dans l’administration), les orangs-outangs (qui incarnent la science officielle) et les chimpanzés (intellectuels plus audacieux, semble-t-il), mais tous sont sur un pied d’égalité au regard de la loi. D’ailleurs, la planète Soror n’est pas divisée en nations antagonistes, mais dirigée par un triumvirat composé d’un représentant de chaque catégorie de singes, et par trois assemblées conçues sur le même principe. Ce qui pose problème à certains singes, en particulier chimpanzés, c’est le mystère de l’évolution. Ce n’est qu’il y a peu que la théorie d’une évolution progressive a remplacé celle d’une création divine (thèse défendue par un important penseur d’autrefois), et il semble que la civilisation simiesque, apparue il y a 10000 ans, n’ait pas connu d’évolution technologique majeure depuis. Une stagnation qui intrigue Cornélius. La découverte d’une ville enfouie dans les sables va apporter des éléments de réflexion supplémentaires : remontant à une époque antérieure à 10000 ans, elle possède un vestige en particulier qui bouleverse Ulysse et Cornélius, et pousse ce dernier à renvoyer l’humain en ville. Ce vestige, une poupée en porcelaine, est une poupée humaine, habillée, qui a en plus la particularité de dire « papa » (un mot que Pierre Boulle suppose être approximativement le même dans toutes les langues extra-terrestres).
De plus, par l’intermédiaire d’expériences menées sur deux cobayes humains, Cornélius et Ulysse parviennent à avoir accès, selon le principe d’une mémoire collective, d’une mémoire de l’espèce (principe dont l’application ici est particulièrement tiré par les cheveux, de même d’ailleurs que le retour inverse à l’état sauvage du professeur Antelle, beaucoup trop rapide), à des témoignages divers d’humains de la période antérieure à la domination des singes. L’on apprend donc que c’est par l’imitation des hommes en plein déclin créatif, dont ils étaient devenus les animaux domestiques, que les singes en sont venus à inverser le sens de la domination...
La naissance d’un fils, fruit de Ulysse et de Nova, une humaine sauvage de Soror, constitue néanmoins un élément aggravant pour les gorilles et les orangs-outangs : comment laisser en vie une nouvelle souche d’humains, potentiellement capables de renverser à leur tour la domination simiesque ? Ulysse lui-même se croit d’ailleurs investi d’une mission quasiment divine, se voyant comme un nouveau Christ venu sur Soror pour délivrer son espèce du joug. Finalement, grâce à la complicité de Zira et d’autres chimpanzés, Ulysse et sa petite famille parviennent à regagner leur vaisseau spatial et à partir vers la Terre, qu’ils retrouvent dans un état semblable à celui de la planète Soror... Illustration d’une histoire cyclique dans laquelle l’intelligence et le progrès seraient successivement portés par des races animales différentes, et ce sur toutes les planètes portant la vie (tout au moins une vie humanoïde). Seul espoir de rompre cet antagonisme, l’amour malheureusement impossible entre Ulysse et Zira....